Autour de l’Aimé, nous tournions

Je souhaite partager avec vous quelques réflexions et références autour de la danse Derviche tourneur, une pratique spirituelle de la tradition soufie. Cette pratique m’a été transmise il y a 20 ans environ et depuis, je la pratique et je la transmets.

Je pense que cette pratique, comme d’autres pratiques spirituelles, est importante dans la période turbulente que nous vivons. En effet, la danse derviche tourneur nous ramène dans notre centre, au centre de notre cercle, là où règnent la paix et le silence. Elle nous ramène de la périphérie vers le centre, de là où on se sent vite dépassé, perdu et agressé, vers là où on est protégé par un ancrage au ciel et un ancrage à la terre, dans l’alignement vertical qui est propre à l’être humain.

Je ne propose plus beaucoup d’initiation, ni de journées de pratique, mais j’ai le plaisir de vous en annoncer une prochainement : à Suresnes (92), en région parisienne, dimanche 15 novembre 2020 de 10h à 17h. La salle est grande et aérée, le groupe sera limité à 15 personnes et les règles sanitaires seront respectées. Pour connaitre les détails pratiques et vous inscrire, veuillez suivre ce lien: https://www.weezevent.com/danse-derviche-tourneur-initiation-pratique

Maintenant, d’où vient cette pratique et quel est son effet?

Je vais commencer par le début, par le créateur de la danse derviche tourneur : Mawlana Jalal ûd Din Rumî qui disait : « Plusieurs voies mènent à Dieu ; j’ai choisi la voie de la danse et de la musique ».

C’est en 1244, à l’âge de 37 ans qu’un homme aussi étrange que mystérieux, nommé Shams de Tabriz, vint bouleverser totalement son existence. La rencontre entre le deux hommes sera fulgurante, chacun reconnaîtra en l’autre son maître. Ainsi va naitre celui que le monde ne cessera jamais d’honorer sous le nom de Mawlana : notre maître. Il va écrire, dicter ou chanter une œuvre immense : le Masnavi qui comprend 25.000 vers et le Divan qui est un extraordinaire chant d’amour en l’honneur de Shams.

Cette rencontre d’âme à âme, fait naître en Rûmî un état amoureux constant, un état d’ivresse mystique, et la légende dit qu’en se baladant un jour dans le Souk, les frappes rythmées d’un orfèvre l’amène à l’extase et le font tourner autour de son axe. Une grande partie de son œuvre n’est pas écrite de ses mains mais dictée ou chantée à partir d’états mystiques qu’il vit en tournant. Il rapporte ainsi directement son vécu et met des mots sur ce que l’on peut considérer comme indicible.

Le danseur Maurice Béjart, un amoureux de Mawlana, a décrit son expérience de cette manière :

« Le soleil vient de se coucher – Je lève les bras, je tourne une main vers le ciel et je tourne, je tourne une main vers la terre et je tourne, et je tourne… Dans le ciel, au-dessus de moi, les étoiles, les univers, les galaxies tournent. Sous la plante de mes pieds qui tournent, la terre tourne et mon esprit tourne à l’intérieur de mon corps qui tourne sur le pivot de mon âme. Je tourne donc je suis, et je suis parce que je ne suis plus Moi, mais un de ces atomes, de ces milliards, de milliards, de milliards… d’atomes qui tournent dans ce vide qui est TOUT et UN – ABSOLUMENT – je tourne : et les mots comme les sons explosent, et chaque atome est un cosmos qui tourne en lui-même et chante la gloire de l’UN, l’UNIQUE. La musique de la flûte tourne dans l’air qui vibre et tourne, s’enroule autour de moi comme une grande robe déployée, immense, constellée d’univers, de planètes, de soleils, de voies lactées… je TOURNE. Dans la nuit la lumière tourne et s’enroule autour de ma prière qui est danse et union et unité. La nuit tourne sur elle-même et le sable qui tourne dans le sablier chante ces heures qui coulent. »

C’est ainsi que Béjart transmet son expérience d’union avec l’infiniment petit : les atomes, et avec l’infiniment grand : l’univers et les planètes. En effet, le fait de tourner nous aligne avec le tout, nous fait sentir combien nous sommes à la fois rien et tout. C’est un mouvement simple et universel qui fait appel aux forces naturelles centrifuges et de la gravité. Nous pouvons observer des enfants partout dans le monde tourner, sans se poser de questions, en savourant leurs premiers états d’ivresse. A l’âge adulte, nous devons le réapprendre, souvent en dépassant des peurs.

Ce mouvement qui semble si simple vu de l’extérieur, provoque intérieurement un processus alchimique profond et durable.

Michel Random l’exprime ainsi : « Tout en tournant sur lui-même, le danseur lève la main droite, la paume ouverte vers le ciel, et il baisse la main gauche vers la terre : cela signifie qu’il reçoit les énergies et les dons spirituels du ciel et qu’il les transmet à la terre. Mais, spirituellement et psychiquement, cette transmission passe par lui, autrement dit, ce qu’il reçoit du ciel, avant de le restituer à la terre, c’est lui qui le transforme, c’est lui qui est le moyen terme et c’est par lui que l’alchimie de la transmission opère. Cette vision de la transmutation par le « soi » profond de ce qui est reçu est probablement le premier secret de la danse derviche tourneur. »

Si on regarde ce rôle de transmetteur propre à l’être humain, on voit aussi la responsabilité qui va avec, et combien il est important de laisser mourir le petit « moi » pour renaître au grand « Soi », de polir nos cœurs un peu tous les jours et de permettre à nos blessures de guérir avec le temps. Car les blessures forment des voiles sur nos cœurs et sous les voiles se développent des maladies du cœur telles que l’envie, l’avidité et l’égoïsme.

Afin de permettre à l’alchimie d’agir, une notion de confiance doit être présente, la confiance dans le processus. Et c’est cette confiance qui va nous permettre de nous abandonner petit à petit et de laisser émerger nos vrais visages, illuminés par la lumière de nos âmes. La danse derviche tourneur est ainsi une pratique de connaissance de soi, de guérison, de prière, de méditation, de purification et de transformation. C’est une pratique qui ouvre les yeux à la beauté, qui ouvre et éveille le cœur et qui connecte à la vraie joie. C’est une façon de contribuer à un monde meilleur, en commençant par soi-même, en se donnant le courage de se connecter profondément et de rayonner amplement.

Pour clôturer cet exposé, je partage ces lignes de Jalal ûd Din Rûmî:

« Venez, venez, qu’autour de la roseraie nous tournions
Qu’autour de ce point de bonheur tel un compas, nous tournions
Venez, pour qu’aujourd’hui, glorieux et victorieux
Tel des amants débutants
Autour de l’Aimé nous tournions
Nous avons planté bien des graines, et recherché la terre de sel
Autour de la graine qui n’a place dans aucune grange
Il faudrait que nous tournions. »

Que la paix soit sur nous,

Aya Annika Skattum